
Quel physique pour réussir dans le karaté moderne ?
Premier constat : il existe 5 catégories de poids en pratique compétitive combat senior, chez les hommes et chez les femmes, plus les catégories kata.
Second constat : 78 870 licenciés de la FFKDA ont obtenu un dan depuis 1975.
Ces 2 constats se posent en hypothèse qu’il pourrait ne pas y avoir de « physique » type pour réussir.
Mais qu’entend-on par « physique » ? Rappelons tout d’abord qu’il existe 5 ou 6 qualités physiques (selon les auteurs / chercheurs) utilisées par les pratiquants : coordination, force, souplesse, vitesse, endurance, équilibre[1].
De ces qualités, si toutes jouent un rôle dans le développement de compétences psychomotrices (kata par exemple) et sociomotrices (les formes de kumite, le combat libre et de compétition par exemple), il apparait que ce sont surtout les qualités de coordination (motricité) et d’endurance (répétition des gestes, séquences, kata, kumite…) qui sont prépondérantes en matière de pratique associative hors compétition. A ces 2 qualités, celles de vitesse (temps d’exécution moteur court), force (leviers efficaces) et souplesse (amplitude gestuelle) s’ajoutent pour des besoins performatifs tels que les pratiques compétitives.
En résumé : je pratique en club et passe des grades, 2 qualités priment ; je pratique en compétition avec un but performatif, toutes priment, avec un socle coordination / endurance qui reste fondamental.
Mais d’autres facteurs entrent-ils en jeu dans les réalisations psycho et sociomotrices des karatékas ?
Selon le modèle de performance (Frigout, 2017), de nombreux paramètres et autres facteurs de la performance influencent en effet les pratiques.

Les notions de maaï (Hall, 1971) et de yoshi (Tokitsu, 1979) tout d’abord ; bien connues des pratiquants de karaté, elles signifient distance spatiale séparant ou reliant 2 karatékas, et rythme de travail. Si la notion de maaï n’intervient pas en kata, celle de yoshi intervient dans toutes les formes de pratique.
Les facteurs de la performance ensuite : au nombre de 6, seuls 3 d’entre eux font intervenir directement ou indirectement des qualités physiques (facteur biomécanique, bioénergétique et bio-anthropomorphique). Les 3 autres facteurs, s’ils s’appuient sur les 3 cités précédemment, sont les 3 véritables facteurs clés des échanges moteurs, tant des pratiques associatives non performatives que des pratiques performatives (compétitives) : facteurs tactiques et stratégiques, bio-informationnels et psychologique.
Enfin le lien entre les notions de maaï et de yoshi, et les facteurs de la performance se trouvent dans les choix à opérer en matière de production de kumite et de combat libre et compétitif : quand dois-je prendre la décision de m’exposer, me protéger, être réaliste ou créatif (Biéchy, 2012) ? La prise de décision motrice doit-elle venir de l’acteur moteur lui-même, ou de son entraîneur / coach, dans le cadre de la relation intersubjective qui les lie, jusque sur les bords du tatami en compétition ?

Ce qui va donc importer, primer, c’est de permettre au pratiquant, de club, de compétition, de faire tendre le plus souvent possible son niveau de maîtrise (ce que je suis capable de réaliser quand je maîtrise les paramètres de mon environnement ; à l’entraînement, on est tous champions du Monde !) vers son niveau de performance (en compétition). 2 sportifs émérites n’ont par exemple jamais réussi ce travail si difficile de convergence entre niveau de maîtrise et niveau de performance : Seydina Balde et Asafa Powell. Et à ce stade de notre questionnement, il apparait très clairement que ce n’est pas le morphotype qui prime ni les qualités physiques qui priment seuls, mais des paramètres multiples, dont celui de la prise de décision !
- Alexandra Recchia… trop petite pour être alignée en équipe.
- Rafael Agayev… trop petit pour tirer en open et en -75 kgs.
- Sajad Ganjzadeh… trop petit et lourd pour tirer en +84 kgs.
- Luca Valdesi… trop grand pour tirer en kata.
Qui n’a pas, entendu pareille phrase, sur tel ou telle karatéka ? Et portant !
A ce moment clé de l’entrée du karaté dans le programme des Jeux Olympiques et une ère de performances sans précédent, aucune étude précise et significative ne permet d’affirmer qu’il faut posséder tel « physique » (morphotype ou qualités), mais un modèle de performance nous permet à contrario d’affirmer que vont primer des facteurs liés à la stratégie, au traitement de l’information et surtout les questions de psychologie (gestion du stress, facteurs motivationnels, prise de décision).
Le paramètre de la relation entraîneur / entraîné va devoir lui aussi être considérer sans doute très différemment que l’ensemble des us et coutumes actuels, tous tirés de croyances : phrases prémâchées de motivations d’avant combat, claque sur la joue ou sur les fesses ou le dos… Dans la pathos qui se joue sur les bords du tatami (le deuil non fait d’un entraîneur lui-même pas sacré champion du Monde, ou à l’inverse blessé narcissiquement parce que SON élève ne lui arrive pas à la cheville, à lui, le grand champion de venu coach, l’athlète en pleurs lors de la défaite, ou déclarant « c’est le plus beau jour de ma vie » en cas de victoire…), il convient d’assumer que les formations d’entraîneurs doivent s’affiner et s’ouvrir au champ complexe de la recherche de la performance sportive. Champ qui ne devra laisser personne dans sa zone de confort, de l’entraîneur à l’athlète, du conseil technique à la détection.

Pour poursuivre : Agassi (mangeur d’hamburgers), Messi (trop petit), Bolt (trop grand), Lavillenie (trop petit et frêle), Doucouré (blessure incapacitante à 15 ans)… Et quelles carrières ! Et tant d’autres…
Parce qu’on a cru en eux. Parce qu’on leur a permis de croire en eux.
Quelles attentes, quels effets Pygmalion, quelles prophéties auto réalisatrices pour performer ? La réponse est chez Fantoni (2016) !
Et pour ce qui nous concerne, nous karatékas, souvenons-nous que parmi nos pratiquants les plus émérites se trouvent des Lavorato (75 ans), Sebbak (paraplégique), et l’ensemble des 252 689 licenciés de la FFKDA. Une pépite qui ne demande qu’à être polie par l’entraînement sommeille en chacun, en chacune.
Pas de physique, mais de la motivation.
Pas de physique, mais du plaisir partagé au dojo.
Pas de physique, mais de l’expérience.
[1] La qualité d’équilibre apparait souvent comme comprise dans la qualité coordination.